Nuit debout

Citroën (1933)
Citroën est un poème écrit par Jacques Prévert et le groupe Octobre pendant la grève des travailleurs de Citroën. En 1933, l’entreprise vient de dégager 186 millions de francs de bénéfices sur les deux exercices précédents, et annonce pourtant une diminution de salaires de 18 à 20%. Le groupe Octobre vient jouer ce poème dans l’usine Citroën pour les salariés en grève.
À la porte des maisons closes

C’est une petite lueur qui luit…

Mais sur Paris endormi, une grande lumière s’étale :

Une grande lumière grimpe sur la tour,

Une lumière toute crue.

C’est la lanterne du bordel capitaliste,

Avec le nom du tôlier qui brille dans la nuit.

 

Citroën ! Citroën !

 

C’est le nom d’un petit homme,

Un petit homme avec des chiffres dans la tête,

Un petit homme avec un sale regard derrière son lorgnon,

Un petit homme qui ne connaît qu’une seule chanson,

Toujours la même.

 

Bénéfices nets…

Millions… Millions…

 

Une chanson avec des chiffres qui tournent en rond,

500 voitures, 600 voitures par jour.

Trottinettes, caravanes, expéditions, auto-chenilles, camions…

 

Bénéfices nets…

Millions… Millions…Citron… Citron

 

Et le voilà qui se promène à Deauville,

Le voilà à Cannes qui sort du Casino

 

Le voilà à Nice qui fait le beau

Sur la promenade des Anglais avec un petit veston clair,

Beau temps aujourd’hui ! le voilà qui se promène qui prend l’air.

 

Il prend l’air des ouvriers, il leur prend l’air, le temps, la vie

Et quand il y en a un qui crache ses poumons dans l’atelier,

Ses poumons abîmés par le sable et les acides, il lui refuse

Une bouteille de lait. Qu’est-ce que ça peut bien lui foutre,

Une bouteille de lait ?

Il n’est pas laitier… Il est Citroën.

 

Il a son nom sur la tour, il a des colonels sous ses ordres.

Des colonels gratte-papier, garde-chiourme, espions.

Des journalistes mangent dans sa main.

Le préfet de police rampe sous son paillasson.

 

Citron ?… Citron ?… Millions… Millions…

 

Et si le chiffre d’affaires vient à baisser, pour que malgré tout

Les bénéfices ne diminuent pas, il suffit d’augmenter la cadence et de

Baisser les salaires des ouvriers

 

Baisser les salaires

 

Mais ceux qu’on a trop longtemps tondus en caniches,

Ceux-là gardent encore une mâchoire de loup

Pour mordre, pour se défendre, pour attaquer,

Pour faire la grève…

La grève…

 

Vive la grève !

Jacques Prévert

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